Bienvenue dans la deuxième partie de notre interview avec Sarah Hyndman, auteure de Why Fonts Matter et créatrice des ateliers Type Tasting. Dans la première partie, Sarah nous a raconté ce qui l’a amenée à se plonger dans le monde de la typographie, comment elle a eu l’idée d’écrire Why Fonts Matter et comment elle a créé l’atelier Type Tasting. Dans la deuxième partie, nous apprendrons ce qui caractérise un grand événement et les nombreuses façons dont la typographie influence notre perception des différentes marques.
Sarah Hyndman : Ils ont beaucoup évolué ! Les ateliers dépendent vraiment de ce que les gens recherchent. Au départ, il s’agissait de grands événements publics au cours desquels les gens pouvaient se montrer créatifs et, je l’espère, tomber amoureux des polices. Aujourd’hui, les principaux ateliers que j’organise sont destinés à des entreprises pour lesquelles je peux apporter une valeur ajoutée considérable, car j’ai effectué de nombreuses recherches dans ce domaine. Parfois, j’organise des ateliers avec leurs services de conception. Mais cela n’est pas très fréquent, car les concepteurs aiment déjà les polices. Ils en savent beaucoup sur le sujet, et sont plutôt geeks.
Mais les meilleurs ateliers sont ceux que j’anime pour des entreprises entières, qu’il s’agisse de cabinets d’avocats, de maisons d’édition ou autres. Je demande à tout le monde de participer. C’est très intéressant pour les concepteurs de voir comment chacun des participants répond aux différentes questions. C’est très valorisant pour tout le monde quand ils se rendent compte instinctivement que nous sommes tous des experts en typographie. Lorsque tous les participants commencent à comparer leurs réponses, ils peuvent constater à quel point elles sont similaires, même s’ils ne sont pas concepteurs et n’ont pas cette expérience. Et c’est quand les participants se disent « Ah oui, tiens ! » qu’ils commencent vraiment à être passionnés par les polices .
Je continue à organiser de grands événements pour le public et des ateliers professionnels. Cependant, au cours des 18 derniers mois, il n’a pas été possible d’organiser de grands événements publics. Cette évolution n’a donc eu lieu que très récemment. Avant la pandémie de COVID-19, je créais de très grandes installations et j’organisais de grands événements, et je recommencerai en 2022. Ma dernière grande action publique avant le confinement a été pour Adobe MAX à Los Angeles, à la fin du mois de novembre 2019. Il s’agissait d’un immense stand immersif et multisensoriel présentant les polices d’Adobe. Vous pouviez vous rendre dans différents stands et découvrir les polices par l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût. Et ce n’est qu’une fois que vous faites appel à tous vos sens que le style de chaque police prend vie .
Sarah : Je pense que mes ateliers professionnels ont pu se développer assez rapidement. Avant, je ne disposais que d’un certain laps de temps pour me lancer dans différentes entreprises, car je ne peux pas tout faire à la fois. Mais dès que j’ai commencé à travailler en ligne, je n’ai plus eu d’autres distractions, parce que soudainement, je ne passais plus trois mois à monter une grande installation quelque part.
Au début, le choc a été rude lorsque le travail de toute une année a été annulé du jour au lendemain en mars 2020. Comme tout le monde, j’ai passé deux ou trois semaines à me demander : « Bon, et maintenant ? » Tout ce que je fais est tellement interactif que je ne savais pas comment reproduire cette expérience dans un environnement virtuel.
Mais j’ai ensuite réalisé que je pouvais envoyer aux participants une liste d’objets à apporter à l’avance, et que je pouvais organiser l’expérience en fonction de ce qu’ils avaient choisi. Cette expérience est devenue très enrichissante, et a été renforcée par les discussions en temps réel avec les participants sur la plateforme. J’adore discuter sur Zoom, et je veux maintenant trouver un moyen d’intégrer cet aspect des ateliers virtuels dans mes plus grands événements. Même si je m’adresse à un public de 2 000 personnes, je veux tout de même pouvoir répondre à des petites questions tout au long de la présentation, car cela la rend beaucoup plus amusante.
Ce qui s’est passé, c’est qu’à mesure que les périodes de confinement se prolongeaient et que je concentrais toute mon énergie sur les ateliers virtuels, j’ai fini par en faire cinq ou six chaque semaine, qu’ils soient publics ou privés. En l’espace d’un an, j’ai eu l’occasion de perfectionner mon style de présentation tout en recueillant d’énormes quantités de commentaires en temps réel. Chaque fois que je terminais un atelier, je revenais en arrière et affinais le processus pour le suivant, si bien que je dispose à présent de ce portefeuille d’ateliers qui, je le sais, fonctionnent incroyablement bien, que ce soit en ligne ou en personne.
Sarah : L’un de mes événements les plus populaires est un Type Tasting sur le gin. J’envoie une liste d’une sorte de gin, d’une sorte de tonic et de différents éléments à sentir, mais vous n’êtes pas obligé de boire pour suivre l’atelier. Et pendant que nous parcourons l’histoire des différentes polices, je demande aux participants de sentir les différents éléments et de les mettre dans leur boisson, et cela donne vie à ce moment de l’histoire.
J’anime également un atelier de dessin. Nous avons une playlist, donc nous écoutons de la musique tout en dessinant. Ensuite, chaque participant montre son dessin aux autres. Le but est de vous montrer que de nombreux facteurs différents, y compris les polices et la musique, peuvent influencer votre humeur, et nous pouvons le constater dans les dessins.
Parfois, je demande aux participants d’apporter leur produit de marque préféré. Les participants à l’atelier peuvent ainsi comparer la façon dont nous organisons les objets de notre vie. Et comme tout le monde assistait à l’atelier depuis chez eux, les participants avaient facilement accès à beaucoup de choses différentes. La conversation a évolué d’une manière que je n’aurais pas pu prévoir.
Et cela me rappelle deux choses incroyables qui sont ressorties de ces ateliers. Au début du confinement, tout le monde cherchait à s’évader, mais vers la fin de l’année 2020, les gens se sentaient assez seuls. J’ai donc adapté les séances pour refléter ce changement. J’ai ajouté une demi-heure ou une heure supplémentaire à notre discussion, comme si nous allions ensuite prendre un verre ensemble. Nous avions donc la possibilité de discuter avec des personnes du monde entier qui ne se seraient jamais rencontrées, des personnes venant d’horizons totalement différents. Et nous avons découvert que nous avions beaucoup de choses en commun. Je pense qu’avoir écouté les opinions de chacun a changé la façon dont beaucoup d’entre nous envisagent les choses. Et l’autre chose que je trouve formidable, c’est l’accessibilité. Je ne veux pas recommencer à organiser uniquement des événements en personne. Parce que le fait de les présenter en ligne les rend soudainement accessibles à tant de personnes qui n’auraient pas pu y assister auparavant.
Je voudrais maintenant revenir sur ce que je disais tout à l’heure, que je demande aux participants d’apporter leurs produits de marque préférés pour l’atelier. Qu’on s’en rende compte ou non, nous organisons les objets dont nous nous entourons. Vous avez sûrement entendu parler du fait que Gap a changé son image en 2010. Le tollé a été immédiat parce que les gens ont détesté la nouvelle police . Ils disaient plus précisément : « Ça fait cheap et ringard, et elle me fait sentir cheap et ringard. » Et les concepteurs n’étaient pas les seuls à s’en plaindre. De nombreuses personnes ont déclaré : « Non, vous me faites changer d’avis sur la marque que j’aime. »
De gauche à droite : logo Gap actuel, refonte infructueuse du logo Gap utilisée du 9 au 12 octobre 2010
Sarah : J’imagine que c’est réparti de manière très inégale. Et le choix des polices n’est pas forcément aussi important suivant l’entreprise. Google pourrait se mettre à utiliser Comic Sans et resterait Google, car sa réputation le précède. Je pense qu’à un moment donné, quand une marque est assez connue, elle peut créer des tendances. Si elle se met soudainement à utiliser une police vraiment étrange et inattendue, elle ouvrira la voie. Mais tout dépend aussi du type d’entreprise, comme nous l’avons vu avec Gap.
Mais c’est différent pour les petites marques. Si elles n’ont aucune notoriété et si elles n’ont pas construit une communauté basée sur la confiance, la première impression est primordiale. Et les polices jouent un rôle important sur notre première impression d’une nouvelle marque. Si vous êtes au supermarché et que vous parcourez les rayons, vous n’avez pas le temps de vous arrêter et d’examiner attentivement chaque article. Et les marques n’ont pas beaucoup de temps pour attirer votre attention, surtout si elles tentent de vous faire changer d’allégeance.
Sarah : L’authenticité est également un facteur important. Si un secteur ne progresse pas au rythme des valeurs de ses clients, le moment est propice pour qu’une marque s’engage soudainement sur un nouveau terrain. Prenons l’exemple de la nourriture pour animaux de la marque Lily’s. Pendant longtemps, le marché de la nourriture pour animaux a toujours paru très scientifique et démodé. Et puis Lily’s est arrivée et ce qu’elle proposait ressemblait plus à de la nourriture bio que vous mangeriez vous-même en tant qu’être humain. Et tout à coup, après que Lily’s a décidé de jouer la carte de l’authenticité d’une manière amusante et accessible, le reste du secteur a commencé à changer vraiment très rapidement. Mais il a d’abord fallu que quelqu’un soit assez courageux pour prendre un risque. Et il s’agit généralement d’une idée empruntée à un secteur et transposée dans un autre, et non quelque chose d’entièrement nouveau. Parce que ça serait vraiment trop bizarre. Je pense que les gens prennent maintenant un peu plus de risques, ce qui est vraiment très intéressant à constater.
Sarah : Oui, j’ai récemment organisé un atelier pour une grande maison d’édition. Et un membre de leur service juridique s’est soudain exclamé : « Oh mon Dieu, nous devons revoir tous nos contrats. » Et j’ai reçu un message quelques semaines plus tard me disant qu’ils avaient réalisé qu’ils devaient revoir la typographie de leurs contrats. Ce que j’entends tout le temps aussi, c’est : « Oh, donc je ne devrais pas continuer à utiliser plusieurs polices différentes dans mes courriels professionnels ?! C’est ça que l’équipe responsable de l’image de la marque ne cesse de me reprocher ! »
Dès que nous parlons de confiance et de cohérence, ils commencent à comprendre qu’il ne s’agit pas de leur personnalité, mais de celle de l’entreprise. Et la personne qui m’a demandé d’animer la séance est généralement assise là et s’exclame : « Oui ! C’est ce que nous voulions que vous compreniez. » Et je vois beaucoup de regards s’illuminer lorsque nous parlons de lisibilité et de l’importance de la taille des polices. Agrandissez les polices ! Les polices les plus sympas ne sont pas toujours celles qu’il faut utiliser. Et puis, une fois l’atelier terminé, les participants m’envoient souvent des photos de différents panneaux de leur quartier, et me disent : « C’est exactement ce dont nous avons parlé. Je comprends maintenant pourquoi c’est important. » Et tous ceux qui lisent cette interview et souhaitent me contacter pour me raconter les moments où la typographie les a vraiment fait réfléchir peuvent me joindre via mon profil LinkedIn.
Sarah : Je suis constamment en train de travailler sur plusieurs projets différents. Je commence à organiser davantage d’ateliers en ligne et je travaille actuellement sur deux nouveaux livres. Je suis très enthousiaste au sujet de l’un d’entre eux, mais je ne peux pas vous donner de détails. Je peux seulement vous dire que les recherches vont prendre une éternité. Et le deuxième est le projet en cours. Je rassemble toutes les informations que j’ai recueillies sur la personnalité des polices. Je veux compiler toutes ces recherches dans un livre que tout le monde peut utiliser, mais d’une manière logique. Et qui montrera également comment les polices évoluent au fil du temps.
Sarah : Au début, c’était les concepteurs avec lesquels je travaillais. De brillants concepteurs expérimentés qui m’ont laissé leur poser une tonne de questions. Et même si l’on compte d’excellents typographes, j’ai travaillé pour moi-même pendant si longtemps et le monde est si petit que je m’efforce de me tourner autant que possible vers l’extérieur. Par exemple, je suis très intéressée par l’influence du système d’écriture SignWriting sur la typographie. Mais ce n’est pas souvent reconnu parce que ce système d’écriture est un art éphémère.
Charles Spence m’a également influencée. Il est professeur de psychologie à Oxford et m’a appris à faire des recherches pour mes livres, et j’ai publié quelques études avec lui. J’ai également été influencée par des chefs, des musiciens, des parfumeurs et des personnes qui créent des expositions pour gagner leur vie. Toutes ces personnes travaillent dans des secteurs très différents et ont une perspective unique. Il existe beaucoup de parallèles avec les connexions que j’ai établies grâce aux ateliers virtuels. Lorsque je m’assieds autour d’une même table avec des gens qui viennent de tous les horizons et que nous parlons de ce que nous pouvons créer, nous trouvons des idées vraiment intéressantes et nous oublions ce que nous ne pouvons pas faire. C’est ainsi que j’ai fini par créer cette exposition multisensorielle pour Adobe MAX à Los Angeles. Tout a pris forme grâce à la collaboration de nombreux professionnels de la création. J’ai toujours voulu aider les gens à sortir de leur isolement, à s’inspirer d’autant de personnes différentes que possible, à les écouter et à les rencontrer. Le monde change et nous devons élargir nos horizons. C’est vraiment très important.
Sarah : Cela faisait un certain temps que je dirigeais ma propre société de conception, et ce qui m’a vraiment aidée, c’est de prendre du recul et de poser des questions plus profondes sur mon travail.
Lorsque j’ai lancé Type Tasting, cela ne devait durer qu’un an. Et c’est à cette occasion que j’ai réalisé que les clients m’avaient souvent demandé : « Mais pourquoi cette police signifie-t-elle cela ? » Et je répondais simplement : « Parce que c’est comme ça. » Et j’ai commencé à examiner toutes les suppositions que j’avais faites sans y penser, parce que c’est ce que nous faisons en tant que concepteurs lorsque ces suppositions se transmettent de génération en génération.
Poser des questions, écouter attentivement les réponses, et ne pas les filtrer à travers des attentes ou des suppositions. C’est ce qui m’a mise sur la voie actuelle. Parce que je me suis rendu compte que si je voulais vraiment comprendre cette question, je devais prendre du recul et poser cette question aussi. Une fois que vous commencez à vous débarrasser de vos suppositions, je pense que vous commencez à éveiller votre curiosité. Et n’importe quel sujet peut alors devenir vraiment intéressant. Parce que si ce n’est pas ce que vous pensiez que c’était, alors qu’est-ce que c’est ? Et quel impact cela a-t-il sur tout le reste ? Plus vous parlez à des personnes, plus vous aurez l’occasion de soulever des questions vraiment profondes. C’est ce qui me fait avancer.
Sarah : Trouvez un moyen de tomber amoureux des polices. Ne prenez pas les choses trop au sérieux dès le départ. Recherchez ce qui vous passionne vraiment, ce qui vous donne envie d’en savoir plus. Et si vous enfreignez certaines règles ? Ne vous en faites pas. Cela arrive. Amusez-vous avec les polices, ne vous laissez pas intimider. Trouvez les personnes dont vous aimez les polices et essayez de leur parler. La plupart des gens sont vraiment ouverts à la discussion. Quand vous tombez véritablement amoureux de quelque chose, vous êtes fin prêt.
Sarah : Je trouverais probablement des tas d’autres idées folles. Ce que je devrais faire, c’est dormir une heure, pour avoir suffisamment de sommeil. Mais j’utiliserai cette heure supplémentaire pour travailler sur de nouveaux projets . Dès que j’ai du temps, je cherche à découvrir de nouvelles choses.
La typographie est tout autour de nous, et nous avons tous une compréhension instinctive des polices. Après tout, nous interagissons avec les polices toute notre vie. Mais cette compréhension subconsciente ne se traduit pas automatiquement par une excellente image de marque ou un travail créatif primé. Bien trop souvent, la façon dont nous gérons nos polices peut perturber le processus de conception et laisser place au chaos créatif.
Dans de nombreuses organisations, les polices sont éparpillées sur des ordinateurs individuels, des serveurs et des comptes de messagerie. Le processus de conception se retrouve donc souvent bloqué avant même d’avoir pu commencer. D’après des recherches, les professionnels de la création passent près de 2 heures par jour à rechercher les polices et les ressources numériques appropriées. Il existe une meilleure façon de procéder, mais il faut disposer des bons outils de travail.
Que vous soyez un graphiste indépendant ou le directeur de création d’une équipe internationale, notre solution de gestion des polices peut vous aider à travailler à votre plein potentiel. Dites adieu au chaos créatif et retombez amoureux de votre collection de polices.